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Eduquer aux médias pour un espace civique europeen
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13 février 2006

Un texte d'Elisabeth Bautier sur le rapport à la langue

voici un texte qui intéressera toutes et tous nos linguistes !

Extraits de la conférence d’Elisabeth Bautier au 7 ° colloque de la D.F.L.M.(la puissante association "Didactique du français langue maternelle, devenue l'AIRDF), Bruxelles, sept. 1998

« Maîtrise langagière et démocratisation »

« Ce sont les rapports entre la langue, le langage (que nous définirons rapidement comme les utilisations de la langue) et la démocratisation qui font l'objet de cette conférence.  Quel sens donnons-nous à "démocratisation" ? Le sens de l'accès de tous à une culture commune, à des référents et des savoirs communs, à des manières partagées de penser le monde d'une part, d'autre part, à la possibilité que les gens se sentent sujets dans ce monde, partie prenante de la société dans laquelle ils vivent.

(…)

« Même si les élèves ont souvent des difficultés dans ce domaine [de la "maîtrise de la langue"], il ne faudrait pas leur accorder une importance majeure car elles en masquent de plus importantes qui font plus profondément problème, qui sont plus différenciatrices des élèves car elles concernent les usages mêmes du langage supposés par les pratiques scolaires.  La notion de "maîtrise de la langue" masque également un autre aspect linguistique et langagier de la démocratisation, le partage des catégories pour dire et penser le monde, pour construire des références et des univers de pensée communs.

« La distinction langue/langage opère donc un déplacement d'importance puisqu'il s'agit, dans un premier temps au moins, de minorer le rôle du "bien" parler et du "bien" écrire (ou du "mal" parler "mal" écrire), trop souvent assimilés à la notion de maîtrise de la langue, et de référer les productions langagières aux usages socio-cognitifs qui les sous-tendent : il n'y a pas d'assise théorique pour penser une maîtrise de la langue indépendante des tâches que les élèves ont à effectuer, donc des contenus des textes produits et lus, du genre auquel ils appartiennent, de l'activité intellectuelle qu'ils supposent, de la posture du sujet qu'ils impliquent.

« Il est nécessaire (…) de se poser la question de ce qu'il y a à faire pour que les élèves construisent les usages du langage que les apprentissages scolaires supposent, apprentissages langagiers et disciplinaires.

« Au-delà du constat général d'écart lexical et syntaxique entre langue de l'élève et langue de l'école, les analyses des échanges maitre-élèves ont mis en évidence des phénomènes différents et malheureusement non exclusifs des précédents : les manières de faire avec le langage marquent le même écart, ainsi l'euphémisation, les fausses questions, le futur pour ordonner, les objets mêmes des échanges langagiers ... , pour ne prendre que quelques exemples, ne font pas partie des évidences de formes langagières partagées par les enseignants et tous les élèves.

Ces deux premiers types d'écart conduisent par stigmatisation de la langue des élèves à rejeter leur parole, donc à les rejeter eux-mêmes parce que l'on identifie souvent le sujet à sa parole.  (…)  Pour nombre d'enfants, la dévalorisation de leur langue non seulement leur enlève la parole mais les conduit à ne pas considérer ce qu'ils parlent ou écrivent comme objet possible de description, comme système, comme ayant des règles et des normes, comme une "haute langue" ("langue" peut référer à langue étrangère mais renvoie tout autant aux variétés courantes utilisées par les enfants ou les adolescents) et construit ce faisant un rapport spécifique, négatif, à la langue et au langage.

Cependant, si on s'en tenait à cette dimension des écarts entre la langue de l'élève et celle de l'école, et à celle des usages dans les interactions dans la classe, la question serait plus politique que didactique, elle résiderait dans un rapport à la différence, à l'altérité, ce qui, au demeurant, est bien une question de valeur en éducation et qui a à voir avec celle de la citoyenneté.  Mais à ces deux domaines qui relèvent donc de l'acceptation - rejet de la langue de l'autre et de ses usages par l'école, s'en ajoute un autre qui est celui, déjà évoqué, de ce que les élèves ont l'habitude de faire avec le langage, de leurs pratiques langagières sociales familières qui les aident, ou non à construire un rapport au langage et au savoir qui permet d'apprendre, de s'approprier les savoirs scolaires, de construire les références communes. 

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